Claude Béraud est professeur honoraire à l’université de Bordeaux, ancien vice-président de la Commission de la transparence de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, ancien membre du Conseil médical et scientifique permanent de la Mutualité Française.
Pascal-Henri Keller est un universitaire de grand talent et un chercheur reconnu mais c’est aussi, sans doute même d’abord, un clinicien possédant une expérience étendue. Sa pratique hospitalière et son activité de consultant lui ont permis de confronter quotidiennement ses connaissances et ses recherches à la réalité vécue par les patients. Ces données cliniques, patiemment analysées, lui ont permis de renouveler en permanence ses connaissances et de théoriser sur sa pratique. Ses nombreux écrits traduisent ces allers et retours entre connaissances académiques et réalité clinique, proposant au lecteur des analyses savantes mais également concrètes, de leurs malaises et de leurs souffrances.
Dans cette Lettre ouverte aux déprimés, on retrouve mêlés, d’une part le clinicien écoutant avec attention la parole des sujets qui se disent déprimés, de l’autre l’universitaire analysant leur discours à la lumière de ses connaissances, le tout devenant ce court ouvrage qui les aidera à vivre mieux.
Mon expérience de clinicien, n’est pas confrontée, comme pour Pascal-Henri Keller à un savoir universitaire nourri de lectures psychanalytiques et d’études psychologiques, mais à des connaissances biologiques et médicales. Cependant, depuis des années, lors de nos rencontres amicales ou professionnelles, nous constatons la proximité de nos analyses et des conclusions nécessairement transitoires où elles nous conduisent.
Il en fut ainsi à la lecture de ce livre.
Se sentir déprimé ou triste n’est pas une maladie justifiant une chimiothérapie, mais une expression du désir de vivre mieux. Nous souffrons presque tous, chaque année, durant quelques jours et parfois à plusieurs reprises, d’une baisse de l’humeur qui peut être secondaire à un deuil, aux difficultés socio-économiques, à une rupture affective, au chômage, aux contraintes et aux difficultés de la vie quotidienne, ou même à une pathologie somatique. Cette souffrance n’est pas un état dépressif majeur qui justifierait une prescription d’antidépresseurs.
La plupart des malades qui se disent déprimés se plaignent de symptômes somatiques variés et de troubles de l’humeur d’une intensité variable, leurs symptômes constituant un ensemble clinique nébuleux, et non une affection caractérisée.
Pour reconnaître un état dépressif, utiliser les réponses à des tests diagnostiques sous forme de courtes questions aboutit, non seulement à poser ce diagnostic chez une majorité de sujets dont l’état psychologique est normal, mais aussi à prescrire des antidépresseurs totalement inutiles, dont les effets secondaires et les risques sont fréquents, souvent mal connus. Les antidépresseurs, dont nul ne discute par ailleurs l’utilité et l’efficacité dans les dépressions graves, sont alors inutiles, voire même dangereux, agissant comme des placebos dans tous ces cas où ils sont prescrits en dehors de la véritable indication. Mais pourquoi sont-ils prescrits ? Parce que les souffrances de la vie quotidienne sont aujourd’hui de plus en plus médicalisées.
Les sujets qui souffrent psychologiquement en raison de difficultés personnelles ou sociales sont conduits par leurs proches, leurs lectures ou la consultation des sites internet, à consulter un médecin. Or, les médecins n’ont pas appris à soigner les malades mais à traiter des maladies. En outre, leurs conditions de travail les privent de la disponibilité temporelle indispensable pour prendre soin d’un patient. Ils posent donc le diagnostic d’état dépressif et prescrivent naturellement, pour satisfaire le patient, un antidépresseur.
À tous ceux qui se disent déprimés et consomment – ou veulent consommer – des psychotropes ou des antidépresseurs, la lecture de cette Lettre ouverte aux déprimés permettra sans doute de comprendre qu’ils ne sont pas malades, et que ces médicaments ne leur sont d’aucun secours. Si leurs symptômes persistent, c’est davantage d’une aide familiale, sociale, amicale ou psychologique, d’une écoute, d’une compréhension et d’une parole apaisante, que de traitements médicaux, dont ils ont besoin.
Céris, le 13 août 2008